Enseignement et apprentissage de l'aikido

«Ce n’est pas tel ou tel art martial, ou telle ou telle technique, qui est efficace, c’est vous qui le rendez efficace (ou pas!)

Un sens pour la pratique

La théorie de l’iceberg colle parfaitement à ce qu’est l’aikido,  seulement dix pour cent du contenu est visible.
Voilà bientôt quarante ans que j’explore cet iceberg et je suis encore très loin d’avoir fait le tour de la question.
Pratiquer encore et encore, apprendre par le corps est bien sûr l’essentiel de la recherche. Cette exploration s’enrichit si elle est accompagnée d’investigations d’ordres plus théoriques.
L’aikido, art Japonais, est souvent perçu au travers du prisme déformant de notre culture occidentale ou à l’inverse à un excès de “Japonisation”.  Orienter sa pratique de manière éclairée suppose l’acquisition de connaissances dans des domaines variés : sociologie, culture et pensée orientale, histoire des arts martiaux, énergétique du corps humain, anatomie et biomécanique du mouvement, système d’écriture, pédagogie, etc. Chaque thématique est mise en perspective sous l’angle de vue orient/occident afin d’en saisir les points communs et les différences.
À partir de là, j’oriente ma pratique et mon enseignement autour  des valeurs et des principes  universels que véhicule l’aikido, au plus près de ses origines, autrement dit, ce qui fonctionne partout et tout le temps quelque soit le lieu ou le contexte socioculturel.

L’aïkido est à la lisière de l’art martial interne et de l’art martial externe. Le travail externe consiste à accroître les capacités physiques pour utiliser la force, la puissance et la vitesse d’exécution: c’est la partie omoté (visible). Le travail interne met l’accent sur la respiration, le relâchement, la finesse, des gestes fluides basés sur une étude précise de la mécanique du corps. Ce travail trop souvent négligé par les pratiquants d’aïkido, doit être approfondi en réduisant la vitesse d’exécution : c’est la partie ura (cachée) celle qui donne l’efficacité des mouvements.

J’allais presque oublier de répondre à la question récurrente, est ce que l’aikido est efficace pour se défendre?
Réponse :  À chacun sa représentation de l’efficacité, une chose est certaine, ce n’est pas tel ou tel art martial qui est efficace… ce sont les individus qui le pratiquent qui le rende efficace …ou pas. De manière imagée, c’est la poule qui a trouvé un couteau. Elle le retourne dans tous les sens, puis, ne comprenant pas son usage, elle s’en va picorer ailleurs. Les recettes miracles çà n’existe pas! Un jour de travail engrange l’expérience d’un jour, un an celle d’un an, dix ans celle de dix ans.

État d'esprit

Transmissions - Livre Gianni Baldizzone, Tiziana Baldizzone. Remarquable témoignage sur la transmission du savoir et la relation maître-élève, ce livre dresse en plus de 300 photographies couleurs et noir et blanc le portrait intime d'hommes et de femmes de métier, porteurs d'un savoir-faire qu'ils perpétuent et modernisent à la fois.
Honnêteté envers soi même et respect envers les autres.
Il est légitime de faire ses choix, prendre l’aïkido comme un simple loisir ou vouloir approfondir. Chacun est libre d’utiliser son temps et de mettre de l’énergie là où il le souhaite à condition d’être conscient que les résultats seront proportionnels à l’investissement. Quelle que soit la démarche elle implique d’être honnête avec soi-même, ne pas se mentir en se racontant des histoires. Nous avons tous des contraintes réelles, familiales ou déplacements professionnels, mais aussi une pléthore de fausses bonnes excuses pour ne pas persévérer. Il fait trop froid ou trop chaud, j’ai trop ou pas assez de travail, je suis fatigué, le moindre bobo ou contrariété et on ne va pas à l’entraînement. On prend l’habitude de ne jamais prévenir et on revient un jour ou pas. Le dojo n’est pas un supermarché ou alors, lorsqu’on le perçoit ainsi,  il faut assumer le statut de « consommateur ». Qui a cette attitude dans un sport collectif, une chorale, un orchestre ou dans sa vie professionnelle?
 
Souplesse d’esprit
La souplesse d’esprit consiste à s’ouvrir sur d’autres manières de penser, de faire et de fonctionner, de prendre le temps d’expérimenter avant de porter un jugement. Le pratiquant qui manque de souplesse d’esprit ne progressera pas. Il aborde la discipline en la jugeant constamment sur la base de connaissance qu’il a acquises dans d’autres domaines, il reste bloqué sur ses schémas corporels et ses idées préconçues.
Une métaphore tirée du bouddhisme illustre bien le propos.  Un maître zen reçoit la visite d’un professeur très érudit qui lui déclare vouloir étudier avec lui. Le maître l’invite à s’assoir et lui sert le thé. Le visiteur entre alors dans un monologue, il lui décrit son cheminement spirituel, nomme les maître qu’il a côtoyé, ses découvertes, expose ses connaissances dans de nombreux domaines. Le maître l’écoute patiemment, et lui ressert du thé à plusieurs reprises jusqu’à ce que la tasse déborde.  L’élève s’écrit alors : « que faites vous? Ma tasse est déjà pleine! » Le maître lui répond : « Comment voulez-vous qu’un enseignement pénètre votre esprit alors qu’il est déjà plein comme cette tasse? »

Enseignant et élèves

Le dojo – littéralement “lieu où l’on étudie la voie” – est une école au sens du Latin shola “loisir studieux, leçon, lieu d’étude”.

Dans les disciplines à caractère sportif, l’enseignant est au service de l’administratif, alors que dans les arts traditionnels c’est l’inverse. Dans les deux cas, il s’agit d’une structure hiérarchique pyramidale que nous laissons de côté au profit d’une organisation horizontale structurée en cercles concentriques. L’enseignant est au centre, il représente le point de convergence du dojo, les élèves les plus impliqués forment le premier cercle, les élèves « consommateurs » sont graduellement positionnés sur les cercles les plus éloignés du centre. Dans une pratique martiale il faut faire preuve de discernement, chacun doit savoir où est sa place, cette place est subordonnée au  seul niveau d’implication et d’engagement dans la pratique. Dans l’idéal, il n’y a qu’un seul cercle autour de l’enseignant.

Le terme Sensei collerait plus à la réalité que celui de “professeur”. Au Japon, Sensei n’a aucune connotation de grade ou de titre, il est utilisé de manière très courante, sensei pour sens « celui qui est né avant ». Celui qui est né avant, est celui qui a une expérience vécue significative et donc une certaine expertise  dans un domaine. Un sensei ne professe pas un savoir figé dans le temps, sa motivation principale est de continuer sa recherche selon l’adage « enseigner, c’est la moitié d’apprendre », idée que le fondateur formule ainsi « Comme je suis essentiellement pratiquant, j’enseigne par la pratique.»
Dans ce système la qualité de la relation « professeur – élève » est essentielle, le professeur choisi ses élèves et les élèves choisissent leur professeur, le résultat ne peut pas être complètement fixé à l’avance. C’est ainsi que le premier cercle se constitue et c’est dans cette sphère que sont prises en commun les décisions relatives à l’administration du dojo.

Au sein de cette école, l’enseignant est là  :
– Pour guider les élèves, c’est le sens du terme Shido, qui peut se traduire par guider, orienter, diriger, montrer, enseigner. Concrètement, tous les élèves n’ont pas les mêmes difficultés au même moment. Il s’agit d’un enseignement d’individu à individu, personnalisé, dont une partie importante consiste à faire sentir les choses en pratiquant avec les élèves qu’ils soient anciens ou débutants. 
– Pour poursuivre son propre apprentissage et continuer sa recherche.

Partenaire - adversaire

Dans les arts martiaux à caractère sportif, le combat est régit par des règles exogènes qui visent à éliminer tout ce qui est dangereux, à mettre sur un pied d’égalité les combattants selon un système de catégorie de poids tout en séparant hommes et femmes. Gagner c’est aussi savoir utiliser au mieux les règles du jeu propres à chaque disciplines.
Dans les arts martiaux traditionnels, l’aspect destructeur n’est pas euphémisé par l’élimination des gestes potentiellement dangereux, dans l’absolu tout est permis, il n’y a pas de règles écrites qui interdisent tel ou tel geste. L’art martial traditionnel ne se limite pas au « un contre un », il envisage des situations avec plusieurs adversaires avec des attaques qui peuvent survenir de n’importe quel angle. Ce type d’entraînement met en évidence, lorsqu’on le pratique, que l’aïkido n’est pas un art de défense au sens où l’entend, si défense il y a, elle est nécessairement proactive. Attendre passivement sans bouger que l’attaque soit déclenchée, c’est se donner toutes les chances d’être en retard!
Le kata 型 dont le sens est forme, modèle, est une des solutions pour assurer la transmission du savoir sous tous ses aspects. Chaque kata a sa finalité qui se traduit par des enchaînements de formes techniques selon une codification très précise.  Pour l’aïkido,  les règles qui régissent les relations entre les partenaires sont entièrement tacites et fondées sur le respect  et la bienveillance. L’autre est notre miroir avec lequel il faut instaurer un climat de coopération. Coopérer, ne signifie pas être complaisant, c’est participer à un projet commun, progresser ensemble de manière équitable et durable. Dans le cas contraire, comme le disent les enfants, “si tu recommence, je ne joue plus avec toi!”
Vue de l’extérieur, lors d’une démonstration,  Uke ou Aite, c’est celui qui attaque et Tori c’est celui qui défend (et qui gagne à la fin!). La réalité au quotient de l’entrainement est beaucoup plus subtile
  • Uke 受 = se passer un objet de la main à la main, la main qui reçoit. Uke désigne celui qui reçoit la technique. 
  • Aite 相手 = 相 l’arbre + l’oeil de l’homme caché derrière un arbre pour mieux voir, juger de l’aspect des choses, examen réciproque. Associé à la main vue de face 手, qui désigne l’autre, l’ensemble a pour sens partenaire, adversaire, compagnon. Le terme Aite est préférable à celui d’Uke, dont le sens peut être trompeur, il laisse sous entendre que le partenaire qui attaque a un rôle passif.
  • Tori  取 = l’oreille et la main qui prend. Pour prouver que l’on avait tué son ennemi, Il fallait prendre l’oreille et la rapporter. D’où le sens de prendre, dans la pratique Tori désigne celui qui “prend le corps»,  qui contrôle le partenaire.

La compréhension de la relation entre les partenaires est fondamentale. Ce ne sont pas les  techniques par elles mêmes qui posent le plus de problèmes, ce sont les difficultés rencontrées pour modifier la perception du binôme attaquant-défenseur ou partenaire-adversaire, de porter des attaques engagées tout en restant vigilant. Dans un même mouvement, les rôles peuvent potentiellement s’inverser plusieurs fois, coopérer permet aussi de se laisser des opportunités. En fonction de la situation, aite,  celui qui attaque peut conclure son intention, choisir la chute pour se préserver ou s’échapper, ou encore plus subtilement dans l’étude des contres techniques [Kaeshi waza – retournement de situation]  « reprendre le dessus » sur tori.

Apprentissage

En Japonais, entraînement se dit Renshu 練習qui a pour sens polir, pétrir, malaxer inlassablement, forger, marteler le fer et le tremper. On dit également qu’il faut apprendre “à voler la technique”. Tout ceci signifie que le plus difficile, ce n’est pas les prouesses physiques,  c’est la constance, la cohérence et la persévérance.

Taiken – 体験 – Dans la pensée Japonaise une connaissance ne vaut que lorsqu’elle a été expérimentée par le corps. Taiken est un terme que l’on retrouve dans de nombreuses expressions du quotidien. tai (corps) et ken (empreinte, marque, pli, sillon) désigne une expérience qui s’enracine non pas dans les mots ou la pensée mais dans le corps en y laissant une empreinte profondément ancrée.

  • Celui qui appréhende intellectuellement un principe peut en parler.
  • Celui qui le comprend peut l’appliquer dans certaines circonstances.
  • Celui qui l’a profondément assimilé peut généraliser et l’appliquer partout et tout le temps

L’aikido est un apprentissage par le corps, terme qui  a un sens très précis.
Apprentissage moteur  = processus interne qui amène des changements permanents du comportement qui ne sont pas directement observables et qui se traduisent par des habiletés motrices acquises de manière durable.
À ne pas confondre avec la performance. La performance est une expression temporaire, fluctuant d’un instant à l’autre, quelque chose qui est transitoire. Par exemple, un jour on arrive à sauter 2 m en hauteur et jamais on arrive à reproduire cette performance. Un jour champion du monde de Judo, la fois suivante viré au premier tour.

Approche systémique de l'aikido

La méthode analytique cartésienne consiste à privilégier l’enseignement d’une nomenclature de formes techniques,  les prendre une à une,  réduire chacune de ses composants en s’attachant par exemple au positionnement des pieds, des mains, etc. Cette méthode est rassurante parce que très répandue et  donne l’impression d’emmagasiner un grand nombre de connaissances nouvelles.
Elle présente plusieurs inconvénients :
  • L’élève est satisfait d’avoir appris une nouvelle « prise », mais dès que la situation change il aura du mal à généraliser  et ne développera pas la spontanéité nécessaire à la pratique d’un art martial. Dans son esprit, chaque technique est l’objet d’une problématique particulière et il va se concentrer sur les « détails » de construction du mouvement et va accumuler des strates de connaissances sans lien réel entre elles.
  • Ce schéma implique un enseignement “linéaire et monochrome”, c’est à dire une suite de cours préétablis pour passer en revue un programme quantitatif de techniques, ce qui réduit drastiquement la créativité et l’évolution personnelle de l’enseignant.
Analogie aikido et dessin
Dans l’aïkido, rien n’est isolé, chaque élément est en interaction avec les autres,  le contexte martial est par définition variable et instable, tout peut évoluer à chaque instant. Le modèle pédagogique  cartésien ne peut pas se suffire à lui même, il faut l’intégrer dans une approche systémique qui privilégie la vision globale et s’intéresse aux interactions entre les éléments et à leur finalités, selon le principe où « le tout est plus que la somme des parties ».
 
Je trouve que l’analogie avec le dessin permet de mieux saisir une des conséquences de cette approche.
Pour dessiner un personnage en mouvement, la première étape consiste à dessiner une ligne qui représente la ligne de corps. C’est la « ligne de force »,elle donne le sens simplifié du corps humain et représente en quelques traits la dynamique en même temps. Sans la ligne de force, le corps paraîtra statique et n’aura aucune forme de vie. C’est l’étape indispensable dans tout dessin. Dans la deuxième étape seront placés les repères anatomiques et les proportions, et ce n’est que lors de la troisième étape que seront dessinés les détails de chaque partie du corps.
J’envisage la pratique et l’enseignement de l’aïkido selon une logique similaire. L’idée n’est pas de reproduire un catalogue de techniques, mais de retrouver en soi les éléments de leur recréation.
Dans la réalisation d’un mouvement, je commence à être  satisfait lorsqu’un élève se pose des questions en cherchant à comprendre ses erreurs lorsqu’il trace les « lignes de force », attitude (stabilité, relâchement, respiration …), gestion du maai (distance/timing/être au centre du mouvement), que le résultat global a un sens martial (ne se pas mettre en situation de danger, possibilité de mettre un atemi par exemple), ne pas s’acharner à vouloir à tout prix reproduire la forme finale demandée et même si c’est approximatif, qu’il va essayer d’aller dans un sens qui sera adapté à la situation qu’il est train de vivre.

Dans la suite de l'analogie entre l'aikido et le dessin

Principes = les lignes de force du mouvement

Principe, du latin principium, « commencement », « qui occupe la première place ».
Yin/yang est l’essence des principes, des bases et des formes techniques de l’aïkido où il s’agit de trouver le meilleur « dosage » au « bon moment » pour gérer et harmoniser les énergies (AIKI). Ensuite, les principes de l’aïkido « pointent du doigt » certains aspects des lois  yin-yang, il ont la caractéristique d’être applicables à tous les domaines de la vie.
Complémentarité yin/yang, rien n’est totalement yin ou yang.
Sur soi même :
* Musculaire : tension (yang) / relâchement (yin)
* Respiration en  rapport avec le mouvement  : expir (yang) accompagne l’action / inspir accompagne l’absorption (yin)
* Respiration en rapport avec les échanges cellulaires : expir (yin) libère les toxines / inspir (yang) emmagasine l’oxygène dans le sang.
* État mental : énervement, colère (yang) / Sérénité, calme (yin)
Rapport au(x) partenaire(s)
* Déplacements : avancer (yang) / reculer ou pivoter (yin)
* Mouvements du corps :  pousser (yang) /  absorber, guider (yin)
* Situation de pratique : dynamique (yang) / statique (yin)
* Adaptation à la situation : contrôler le yin par le yang et le yang par le yin

Base = les proportions et repères anatomiques

Tout objet repose sur un socle, sur une base. Les bases sont constituées d’un ensemble de notions techniques concrètes qui structurent l’aïkido, une ossatures sur laquelle on s’appuie pour construire et appliquer les formes.

Triangulation et étude en spirale des principes, bases et formes techniques de l'aikido. Au centre une représentation graphique du yin-yang, le HoTou qui a pour sens « courant créateur »

Formes techniques = les détails, la finalisation du dessin.

Une forme technique est une gestuelle plus ou moins complexe organisée en mouvements élémentaires en accord avec la structure du corps humain et en cohérence avec une finalité (déstabiliser, contrôler…). Une douzaine ou peu plus de formes de base résument les possibilité liées aux limitations du corps humain, leur apparence est très variée et variable pour répondre au contexte et à la situation. En fonction de ce que l’on comptabilise, on peut répertorier un minimum de 300 variations parmi les plus usitées.

Évaluation et progression

L’esprit du dojo doit être le reflet du sens et de l’état d’esprit de la pratique. Par la manière de se déplacer, de saluer, de s’assoir en seisa (position assise à genoux), d’adopter ou pas un shisei  (posture, attitude) correct, sans tension ou rigidité excessive, un œil averti évaluera tout suite le niveau d’un élève.

Apprendre pour soi-même et pas pour obtenir une récompense est un point clé de l’enseignement du dojo. La finalité ultime de la pratique c’est de développer la capacité à agir et à penser par soi-même.
J’ai donc pris le parti de supprimer le système de grade tel qu’on le connait dans les arts martiaux asiatiques et toute autre distinction hiérarchique.
La transposition du Japon vers l’occident des systèmes de grade, classique (Dan – Kyu) ou celui utilisé dans les arts martiaux anciens (Shoden, Chuden, Okuden, Kaiden), a d’une part changé leur sens initial et d’autre part, tels quels, il ne sont pas adapté à notre conception de l’aikido et de son enseignement. L’argumentaire exhaustif serait trop long à développer ici.

La progression ne consiste pas à évaluer l’accumulation d’un catalogue de techniques puis sa reproduction mécanique lors d’un “passage de grade”.
L’objectif est de mesurer la progression d’un apprentissage ce qui est beaucoup plus complexe à formaliser.

Quels sont les indicateurs de la progression?

Dans le système de pensée Japonais, la progression est envisagée en 3 stades : Shu, Ha et Ri. Ce concept a été largement repris dans le coaching pour des formations de managements agiles (d’où j’ai tiré la représentation ci dessus)
Shu est l’étape où l’on suit scrupuleusement l’enseignement de son maître jusqu’à arriver à reproduire exactement les techniques.
– Une fois arrivé à ce niveau on essaye de voir ce que tel ou tel changement implique. On sort du moule pour continuer son étude. C’est Ha.
– Finalement on dépasse les contradictions et le technique devient sienne. C’est Ri.

Ce système manque d’indicateurs concrets, il faut se tourner vers les théories scientifiques relatives à la production du comportement moteur et à l’apprentissage des habiletés motrices.
À ce sujet la littérature est très instructive pour mieux comprendre les modes d’acquisition d’habileté motrices.  Pour nous, quels sont les processus qui sous tendent l’acquisition des formes techniques et comment  arrive t-on à ce que le corps et le mental se les approprient pour déboucher sur la spontanéité? vaste programme!

Parmi ces études, il y a celle de Ann Jewett, qui classe également la progression en 3 stades, que j’ai adapté à notre étude.
Attention! On ne passe pas au niveau 2, puis au 3 en bloc, les 3 niveaux sont très imbriqués, l’étude est en spirale avec de nombreux retour en arrière et itérations. Le nombre de situation à gérer est quasiment infini, chaque individu est différent et pour mémoire, nous avons environ 790 muscles qui contrôlent plus de 110 articulations…

Pour ceux qui ont besoin de repères, pour moi, le niveau 1 correspond au Shodan et Nidan (1er et 2 ème dans) = les prérequis pour réellement débuter l’étude de l’aïkido. Le niveau 2 au 3ème/4ème dan, et au delà il n’y a plus aucun intérêt à mettre en place une évaluation, le pratiquant a tous les outils pour savoir où il en est dans son étude.

1- NIVEAU 1 – Mouvements généraux

– Avoir la volonté d’entreprendre un travail de modification de l’utilisation de son corps.

– Assimiler les rôles d’aité et de tori

– Mettre en place les principes et les bases de l’aïkido : shisei/kamae, irimi/tenkan ; tai sabaki ; ma ai et centre ; Ki no nagare et kimusubi.
 
– Réalisation globale des mouvements de base (Kihon waza)

– Situation type “habiletés fermées”.  Le contexte de l’étude est très cadré, type d’attaque, vitesse exécution, position de garde des 2 partenaires, le nombre de prérequis pour réussir est réduit.
– Être capable d’expliquer ce que l’on essaye de réaliser, le but de l’exercice, percevoir ses erreurs.

Mots clés
Percevoir :
Découvrir Discriminer Identifier Reconnaître
Imiter : Imiter Mimer Reproduire
Réaliser un modèle : Démontrer, Coordonner, Exécuter, Réaliser

 

2- NIVEAU 2 -Mouvements ordinatifs

– Au travail sur soi et à la mise en pratique des principes et des bases, il faut désormais ajouter la précision, la fluidité, la recherche constante de l’élimination des gestes parasites.
 
– Unifier et s’approprier les principes et base : par exemple,  irimi / tenkan / atemi / ma ai et centre ; Te odoki / ki no nagare.
 
– Généraliser les mouvements selon les principes de la biomécanique du corps humain, contrôler le partenaire sans le contraindre.
– Enrichissement quantitatif des formes techniques (Henka waza)

– Transition d’habiletés fermées vers des habiletés plus ouvertes. Généraliser une forme technique à des situations et des attaques différentes. Réguler la vitesse d’exécution, faire des liens entre les différentes bases et principes.
– Être capable d’animer un cours avec un objectif pédagogique simple mais cohérent de bout en bout.

Mots clés
Adapter :
Ajuster, Appliquer, Employer, Utiliser
Perfectionner: Améliorer, Contrôler, Réaliser d’une manière facile et efficiente, Régler Synchroniser Systématiser

3- NIVEAU 3 -Mouvements créatifs

Revenir sans cesse sur les acquis des niveau 1 et 2 en les remettant en cause.
Conduire sa propre recherche.

– Être capable de généraliser les principes à toutes les situations proposées, imaginer de nouvelles situations, s’adapter au contexte.
Développer sa perception de la pratique, adapter à sa morphologie et sa recherche.
– Être capable d’animer un cours au pied levé sur n’importe quelle thématique et devant n’importe quel auditoire.

Mots clés
Varier :
Changer Diversifier Modifier Recevoir
Improviser: Anticiper Improviser Interpréter
Composer : Composer Symboliser

 

La boucle n’est jamais bouclée! Pour ne pas tomber dans la routine, garder “l’esprit du débutant” – Shoshin – se remettre en question en permanence, regarder les choses comme si c’était la première fois.